L’avenir des simples by Rouaud Jean

Auteur:Rouaud, Jean [Rouaud, Jean]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782246821953
Google: LKDODwAAQBAJ
Éditeur: Grasset
Publié: 2020-03-03T23:00:00+00:00

On a également bien compris que « la vie moins chère », cette baisse continuelle annoncée des prix qui se veut le slogan des bienfaiteurs de l’humanité, où l’on n’en finit plus de profiter de prix coûtants, d’appels gratuits illimités et de buffets à volonté, est une stratégie délibérée pour ne pas augmenter les salaires et les orienter invariablement à la baisse. À quoi bon rétribuer si tout ne vaut rien. Plus on vante la vie à bon marché (slogan universel de la grande distribution qui écrase, lamine, ratiboise les prix), moins on se sent tenu d’augmenter les employés (que l’on compresse également sous la menace de la concurrence planétaire). À quoi bon puisque tout est « donné » ? Plus on « solde », moins on rémunère. La grande distribution est la caution « morale », réparatrice, des marchés.

On se souvient du slogan en direction de ceux qui peinent à finir le mois : « Travailler plus pour gagner plus. » Car ceux-là sont courageux, travailleurs, pas regardants à la peine. À quoi il convient cependant d’ajouter, ce qui va sans le dire et constitue la finalité du programme : travailler plus pour gagner plus pour acheter plus pour s’endetter plus. Ce qui fera le bonheur réel des marchés et des banques à défaut de celui des travailleurs grugés et attelés pour trente ans à la tâche. Pour résoudre cette contradiction, forcer à consommer tout en limitant les revenus, autrement dit acheter plus avec moins, autrement dit continuer d’agiter mille merveilles sous le nez de gens qui n’ont pas la possibilité de se les offrir, pour que les tentés achètent, achètent encore, achètent toujours, la société des puissants, des multi-monstres des marchés, sort de sa manche la carte magique : l’emprunt, l’emprunt qui donne l’illusion ultime de demeurer dans le train du monde d’où l’on craint d’être débarqué faute d’acquitter sa dette comme des resquilleurs à la gare prochaine. Mais comment pourrais-je acheter si je n’ai pas de quoi sur mon compte ? Mais si vous avez, mais non, je n’ai pas, je suis au courant tout de même, on m’a menacé de me couper les vivres si je ne remboursais pas mon découvert. Un effet de zèle de notre employé sans doute, qui n’a pas tout à fait saisi l’esprit miséricordieux de notre banque, et nous le chapitrerons comme il convient, mais un découvert ça se comble, et même bien au-delà. En un clic nous allons le garnir, ce compte. L’emprunt, c’est la vie qui continue, la vie qui ne se refuse rien, la vie comme si de rien n’était, la vie qui reporte sa douleur au lendemain, la vie qui procrastine pendant que les affaires se traitent à la seconde.

Combien vous faut-il ? De quoi rêvez-vous ? D’un écran tellement grand qu’il vous faudra acheter un salon plus vaste pour le visionner en son entier et vous enchaîner à des abonnements idiots ? Pas de souci. Une signature et tout est à vous. Et vous à nous pendant trente ans.

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